SOUVENIRS DE PIERRE CARRIVE 1892 – 1974
Depuis quand nos ancêtres Carrive habitent-ils la propriété de Guinarthe ? …
Mon père avait des papiers que j’ai étudiés à loisir. Le plus ancien et aussi le plus intéressant était un testament d’Abraham de Carribe », daté de 1700 sous Louis XIV.
Mon oncle Joseph affirmait qu’ils y étaient déjà sous François Ier. C’était un peu l’offenser que d’en douter, et je n’ai jamais pu savoir sur quoi il se basait ; mais, à la réflexion, je crois qu’il était dans le vrai :
C’est sous François Ier que le clergé fut chargé d’établir et de tenir l’état civil. Encore aujourd’hui, à la campagne, en Béarn (et je crois dans toute la France) on désigne souvent les gens, au lieu de leur nom d’état civil, par celui de la maison qu’ils habitent : Pierre de Loustou, Jean de Cazenabe etc.…, le « de » n’ayant aucune signification nobiliaire, mais indiquant l’origine.
Toutes les maisons ont un nom : Ou celui de l’endroit, ou celui d’une particularité de cet endroit : L’arstiué (le marécage), la houn (La fontaine). Carribe fut certainement un nom d’endroit. En patois, une carribe est une sorte de carrière d’où l’on extrait de la terre pour amender les champs voisins. Avant l’état civil, on ne désignait les gens que par le nom de la maison, et celui-ci ne fit qu’entériner les noms en usage.
Si nos ancêtres furent baptisés Carribe, c’est qu’ils habitaient déjà sous François Ier la maison Carribe. S’ils y étaient venus plus tard, ils seraient venus avec un autre nom.
Ils peuvent d’ailleurs y avoir été depuis bien plus longtemps, sous un autre nom et avoir à l’origine défriché le terrain. Camille Jullian nous apprend que lorsque les romains conquirent la gaule, ils y trouvèrent un état de civilisation égal ou comparable au leur, des plaines défrichées et cultivées. Les romains conquirent méthodiquement le pays, comme l’atteste un quadrillage de camps romains sur les sommets. Ils firent régner l’ordre, mais respectèrent la propriété des gaulois qui reconnaissaient leur autorité.
Plus tard, du nord, vinrent les barbares. Mais ils ne venaient pas partout. Il est cependant possible que le fer à la main, ils se soient installés à Guinarthe, dans lequel cas nous aurions du sang nordique ou germain.
Revenons à des temps moins reculés vers 1700, avec le testament d’Abraham de Carribe. On y voit qu’en 1700, les Carribe avaient avec la propriété de Guinarthe, deux métairies et des bois et landes sur les coteaux, à peu près le même domaine sur lequel oncle Joseph devait vivre de 1895 à 1942 en gentleman-farmer.
Comment vivaient-ils ? En gentilshommes, en bourgeois ou en paysans ?
Ils avaient une belle maison, de beaux habits qu’ils mettaient le dimanche pour aller au temple à Sauveterre. Mais je pense que la semaine, ils travaillaient aussi dur que leurs métayers.
Probablement y eut-il des périodes de vie facile, par exemple à la fin du 18ème siècle et sous l’empire. Mais suivies par d’autres, par exemple sous la restauration et le second empire, de vie dure. Il fallait reconstituer les finances, doter les nombreux enfants qui essaimaient à chaque génération, et pour cela travailler dur et économiser.
Après la mort de mon père, ma mère mettant de l’ordre dans son bureau, ne vit pas l’intérêt des papiers, les détruisit en partie ou les donna à mon oncle Joseph. Je n’ai jamais pu les revoir. J’en connaissais à peu près le contenu, et en fait, à part le testament D’Abraham, ils ne contenaient rien de bien intéressant, et en particulier rien sur la période 1700 à1780 qui le suivit. C’est seulement avec un certain Jean de Carribe, 3 ou 4 générations après Abraham, qu’on commence à savoir quelque chose. (Si les protestants du 17ème siècle affectionnaient les noms bibliques, les chefs de lignée s’appelaient par la suite alternativement Jean et Paul).
Plutôt que des papiers, ce que j’expose vient de ce que j’ai recueilli de mon père, de mon oncle Joseph, de ma sœur Mathilde qui le tenait de sa belle-mère Louise Privat, née Carrive et de sa sœur Adèle, d’Etienne Privat, de diverses personnes, par exemple un vieillard de Guinarthe.
Jean Carrive épouse en 1780
Marie Datournou.
Ils ont onze enfants.
Vers 1700, ce Jean Carrive, alla à Osse dans la vallée d’Aspe, épouser la fille d’un notaire, Marie Datournou. Vieille famille protestante ; dans les papiers de mon père, il y avait des lettres d’un Amédée Datournou qui, sous Louis XIV avait du s’exiler en Angleterre. A son retour (de Jean), le Bailly de Sauveterre vint à cheval à ses devants, pour souhaiter la bienvenue aux deux époux. Jean avait donc une certaine notoriété.
Marie avait une éducation et une formation bourgeoise. Elle lisait, écrivait beaucoup, faisait même des vers, elle brodait, faisait de la lingerie fine. Elle fréquenta la bourgeoisie des environs, reçut, organisa des pique-niques. Et Jean suivait.
Cela ne détourna pas Marie de la maternité. Elle eut 11 enfants (sans compter ceux qui purent mourir en bas âge). Tous se marièrent et on retrouve à peu près leur descendance, que je donne dans les feuilles ci-jointes.
Il y eut 4 fils et 7 filles, Ils s’étagèrent sur près de 30 ans, de 1782 ou 85 à 1810. Pour avoir eu des enfants si tard, Marie devait avoir à peine 20 ans en se mariant, et être née en 1760.
La révolution, l’Empire, la Restauration passèrent.
Il ne semble pas que la répercussion eut été bien grande sur Guinarthe. En 1813 et 1814, des troupes anglaises pénètrent dans le Béarn ; il y eut des petits combats à Orthez, mais Guinarthe resta en dehors. Il ne semble pas qu’il y eut de Carrive enrôlé sous la révolution ou l’empire.
Paul Carrive dit
Poullou. (environ 1785-1876)
Jean ne vécut pas très vieux. Né vers 1750, il doit mourir vers 1820. Tous les enfants n’étaient pas encore casés, et la situation financière était compromise. Le fils aîné, Paul dit Poullou, la rétablit en imposant un régime de travail et d’austérité. Il devait vivre 93 ans, et jusqu’à sa mort, vers 1876, tint les rênes aussi serrées d’une, main ferme.
Il exerçait une autorité tyrannique, et aussi patriarcale. Il était craint et redouté de tous, même en dehors de la famille. Il devait avoir une bonne instruction, et notamment religieuse, car pour exhorter les gens au travail, il leur citait des passages de la bible ; et il avait des conversations religieuses avec son beau-frère le pasteur Mourgues de Sauveterre. Un vieillard de Guinarthe qui avait travaillé sous ses ordres m’a dit combien il était sévère, mais aussi qu’il était juste et donnait l’exemple du travail. D’après le même, il parlait couramment basque, ce qui est bien rare chez un béarnais, et dénote une certaine agilité d’esprit, ayant jeune, gardé les troupeaux de la maison dans les montagnes basques.
Descendance de Paul dit
Poullou.
Poullou épousa une demoiselle Saffore d’Autevielle, sœur ou cousine de sa belle sœur (B). Il eut 3 fils et une fille.
Jean, l’aîné, dont je reparlerai.
Daniel, dit Toutou, célèbre pour son avarice. Il s’établit sur une propriété de Guinarthe limitrophe de celle de Carribe, amassa une belle fortune qui alla à sa fille unique Marie.
Celle-ci épousa Prosper Bernet, un riche propriétaire de Baïqts (prés d’Orthez), connu comme éleveur de chevaux. Vers 1920, des admirateurs du maréchal Foch, fin cavalier, lui offrirent un cheval de choix, et c’est les Bernet qui le fournit. Prosper eut deux fils, dont l’un resta sur la propriété et eut à son tour un fils qui doit l’exploiter à l’heure actuelle.
Un, dit Cadettou, épousa une riche héritière de « Castetarbe » tout prés d’Orthez, et fonda la branche des «Carrive de Castetarbe ». Il eut un fils Jean, et celui-ci quatre filles et un fils. Les filles de l’âge de mes sœurs les fréquentèrent. L’une épousa un centralien qui travailla à Kali Ste Thérèse en Alsace, et finit bibliothécaire à Centrale ou Georges l’a connu. A la mort du père, les filles firent vendre la propriété et le fils se suicida. Ainsi finit tragiquement cette branche.
La fille, Augustine épousa Sulheh de Bideria à côté d’Autevielle. Encore une belle et vieille propriété, qui, le petit-fils ayant été tué à la guerre, tomba dans la main des fermiers.
Jean (fils aîné de
Poullou), mon grand-père (environ 1814-1869)
A côté de son père Poullou, sa figure paraît falote, et son règne (1876 à 1889) fut court, vu les 93 ans atteints par Poullou.
Sans doute qu’habitué sous la férule de son père au travail et à l’austérité, il continua sur cette lancée. Ce qui est certain, c’est qu’il laissa, peut-être grâce à l’apport de sa femme, une belle situation financière.
Il épousa Madeleine Soupervie d’Osse, comme Marie Datournou et eut 3 fils :
Mon père, l’aîné, Paul (1840 – 1916)
Mon oncle Pierre (1852 – mort d’accident vers 1894- je ne l’ai pas connu)
Et Joseph (1865 – 1943)
Ici, se situe une atteinte grave aux coutumes et à la tradition. Depuis toujours, l’aîné, après une petite instruction, revenait à la maison et travaillait pour prendre la suite du père.
Madeleine Soupervie décida que Paul ferait ses études de médecine, et qui plus est à Paris.
Son mari et Poullou qui commandait encore (vers 55 – 60) s’y opposèrent de toutes leurs forces. Mais Madeleine teint bon ; c’est elle qui paya les études sur ses fonds personnels. Douze ans plus tard, il y eut une nouvelle bataille pour mon oncle Pierre, à laquelle mon père prit part au côté de sa mère. Et Pierre fit ses études de droit.
Joseph, par contre, ne mordit guère aux études, s’intéressa davantage à la terre et aussi à la chasse et à la pêche.
Entre mon père et Pierre, il y avait une union complète.
Joseph était complètement différent sur le plan intellectuel. Par contre, physiquement, Joseph et mon père se ressemblaient beaucoup. Assez grands, blonds avec des yeux bleus, ils avaient un type germanique bien accusé,(que le croisement avec les Marche, petits et très bruns, a fait disparaître dans ma famille). Mon père pensait que nous pourrions descendre d’un reître allemand, venu combattre pour les protestants dans les guerres de religion, et qui se serait établi à Guinarthe. Je ne le crois pas. Les guerres de religion sont postérieures à François Ier. Si nous avons du sang nordique, il vient de plutôt, des invasions barbares.
Mon père, bien qu’ayant quitté la terre, comptait, je crois un peu en qualité d’aîné avoir Guinarthe. Son père, Jean en décida autrement.
Par testament, il laissa Guinarthe et tout le domaine à Joseph. Et, fruit de longues années d’économie depuis l’avènement de Poullou, laissa à chacun des deux autres, l’équivalent en valeurs, titres, hypothèques.
A mon père, pour élever ses huit enfants, à ma tante Berthe, veuve avec deux enfants sourds, ce magot fut bien utile. Ils le Gérèrent d’ailleurs sagement. Jusqu’à 1914, le franc resta remarquablement stable. Mais ensuite les dévaluations successives engloutirent les sommes lentement amassées.
Les terres conservèrent leur valeur au travers des deux guerres. Mon oncle Joseph sut les faire rendre, suivant les vieilles méthodes ancestrales, même si après la guerre de 14, les métayers revinrent plus difficiles, et si la loi réglementa le métayage.
Succédant tout jeune à un père âgé, il régna longtemps ; tout en menant une vie de gentleman-farmer et s’octroyant de nombreux plaisirs, il avait conservé l’esprit d’économie ancestral.
Mais mon cousin Jean, après lui, se chargea, je n’ai jamais compris comment et si vite, de dissiper le domaine. Avec un petit enclos, il ne laissa à Jeanne que la maison, bien difficile à vendre avec ses dépendances, dépouillée de ses terres. Heureusement pour Jeanne qu’un pied-noir en donna un bon prix.
Ainsi finit Guinarthe après de longs siècles de prospérité.
Mon oncle Pierre eut deux fils, Félix et Lucien, et une fille Alice (J’en parle à la rubrique Pécaut). Il meurt d’accident en 1894. Ma tante Berthe se retira à Orthez puis à Pau ou mon père allait la voir très souvent et m’amenait en général ; c’était ma marraine.
Joseph eut un fils Jean, et trois filles.
Yvonne qui épousa un Maisonave et vit toujours. Sa fille Suzanne est morte ; elle a un fils Pierre Gaz’art.
Hélène épousa Maurice Thomas puis divorça. Elle vit à la maison de retraite de Meudon.
Francine
épousa le docteur Blanco. Tous deux sont morts laissant Yves Blanco, Agro, et
Bibi mariée à un américain, après avoir vécu sous l’occupation avec des
Allemands, et avoir eu la tête rasée à la libération.
Mes parents – La vie à
Sauveterre.
Mon père eut huit enfants : Adolphe
Jean
Madeleine (Risson)
Mathilde (Privat)
Jeanne (Malan)
Suzanne (Frechet)
Ces six enfants se suivent à moins de deux ans.
Puis trois ans et demi après Suzanne,
Louise
Et six ans après le dernier, moi :
Pierre
Après avoir débuté et pris femme en Gironde, il vint en 1873 à Sauveterre, y fit le reste de sa carrière médicale et y mourut.
Il avait 52 ans de plus que moi. Je le vois, déjà d’un certain âge, habillé comme le médecin d’alors, de façon sévère et impeccable : complet foncé, chemise blanche empesée, col dur, chapeau cylindrique.
Il était imbu de culture classique, grec, latin, auteurs français classiques, la Fontaine et Racine étaient ses préférés. Pour lui, les maths et les sciences exactes étaient secondaires.
Il était pour la tradition, les vieilles coutumes et n’aimant pas les choses nouvelles. Il ne fit installer l’électricité et l’eau courante que plusieurs années après leur apparition. Alors que les médecins venaient à l’auto, il resta jusqu’à sa mort fidèle au cheval. A près de 70 ans, il faisait toujours ses tournées à cheval et était alerte. La guerre de 14 le vit décliner rapidement pour mourir à 76 ans en 1916.
Il faisait de la politique, conseiller municipal, et quelque temps adjoint au maire de Sauveterre. Il assistait son candidat député dans ses tournées dans le canton de Sauveterre. Il se lança avec véhémence dans l’affaire Dreyfus. A cette époque, il n’y avait pas de parti communiste. Le parti socialiste naissait avec le grand tribun Jaurès. Deux partis se disputaient le gros des voix : les républicains,- tout court ou radicaux – parti de mon père, les réactionnaires, qui se disaient aussi républicains, moins progressistes par opposition aux radicaux. Deux slogans résumaient les idées républicaines : A bas la culotte, le clergé, à bas la culotte, l’esprit militariste, le boulangisme.
Les républicains n’en étaient pas moins patriotes et bons Français. Dans le bureau de mon père, trônait un grand tableau : Une Alsacienne et une Lorraine en pleurs.
Si mon père vivait assez austèrement à Sauveterre, il s’octroyait tous les ans et même deux fois par an, un séjour à Paris ; fréquemment, faisait des voyages, Bordeaux, Orthez ou Pau chez tante Berthe. Médecin du chemin de fer sur un tronçon, il avait une carte de circulation en première classe sur toute la France, pour sa famille plusieurs voyages gratuits et tout ce que l’on voulait à un quart de place et en profitait.
Il s’enthousiasmait assez facilement pour les belles causes ainsi celle Dreyfus.
De ma mère, on peut dire que c’était une « sainte femme » et une heureuse nature, un heureux caractère. Nous nous amusions à jouer sans la prévenir un disque « hilarité » - A 80 ans elle partait régulièrement d’un rire fou, irrésistible.
Sa joie était de trôner au milieu de ses enfants et petits enfants..
Aux vacances, mes sœurs mariées venaient dans la grande maison. Nous étions parfois 25 ou 30. C’était une véritable pension de famille que ma mère dirigeait. C’était une cuisinière experte ; elle avait un personnel nombreux avec les bonnes de mes sœurs. Alors, les filles de paysans s’engageaient comme bonnes pour un maigre salaire et n’étaient pas comme aujourd’hui, un luxe.
Peut-être avait-elle eu quelque autorité sur mes aînés ; moi, son petit dernier, j’en faisais absolument ce que je voulais, et elle me gâtait.
Elle se confinait un peu dans son ménage. Elle n’avait rien de la culture de mon père qui (on peut me faire le même reproche pour Marguerite) la traitait un peu comme inférieure intellectuellement. Il avait, par contre, beaucoup d’affinités avec sa belle sœur, ma tante Berthe, la fille de Félix Pécaut. Ma mère en souffrit.
Mon père éleva huit enfants. Alors il n’y avait aucun avantage pour les familles nombreuses, et la situation du médecin de campagne était bien différente de celle d’aujourd’hui. Pas de Sécurité sociale. Le paysan n’appelait le médecin qu’à la dernière minute, et souvent ne payait pas.
Mon père avait hérité d’un joli patrimoine, mais n’y toucha pas, sauf pour donner une petite dot à mes sœurs ; alors, une fille de la bourgeoisie sans dot était à peu près condamnée à rester vieille fille. Il sut faire les choses économiquement.
Trois de mes sœurs allèrent après concours à l’école normale d’institutrice de Pau, complètement gratuite. Les deux autres, moins douées, se borneraient à passer leur brevet à Sauveterre. Toutes allèrent en Angleterre, au pair, Moi, je n’entrais au collège qu’en 3 ème et à Bagnères de Bigorre ou pension et frais d’études étaient la moitié du lycée.
Une petite domestique de 13 ou 14 ans soignait les chevaux, conduisait la voiture, faisait les petites corvées. Une bonne, ce n’était guère un luxe à Sauveterre, aidait ma mère.
Des dépenses, jugées nécessaires aujourd’hui, étaient inconnues, comme les vacances, passées à Sauveterre, l’auto, la télé etc.… Les voyages étaient pour rien.
Pour le reste, on vivait largement. En tout cas, la table était de premier ordre. La nourriture à Sauveterre était à des prix qu’on a peine aujourd’hui à réaliser, de l’ordre ( en franc or) du 1/7 ou 1/8 ème des prix actuels en francs lourds. Les paysans payaient souvent en nature, mon père rapportait presque toujours quelque chose de ses tournées : une volaille, un gibier, des foies d’oie à la saison, un pot de miel….
Tous les ans on achetait un énorme cochon de plus de 200 k. Un boucher venait le tuer, le dépecer, le découper, et ma mère le transformait en saucissons, saucisse, savoureux jambons, andouille, confit, lard….. Elle faisait aussi des pâtés de foie d’oie ou de canard, et des confits.
Mon père aimait la bonne nourriture. Il pouvait se constituer une cave à bon compte. Il faisait venir de la Girarde une barrique de vin rouge qui donnait du saint Emilion, du vin blanc qui donnait du Sauternes ; Si ce n’en était pas, c’était un petit vin blanc dont j’ai gardé la saveur, d’Algérie, une barrique de rouge qui devenait du simili Bourgogne. C’était lui qui soignait le vin, le soutirait, choisissait les bouteilles à garder sur des étagères, un grand tablier bleu sur sa chemise empesée.
C’était d’ailleurs le seul travail manuel qu’il fit, ne bricolant jamais.
Mes aînés avaient connu une discipline sévère. Pour moi, elle se relâche.
Je connu enfant une grande liberté, vagabondait, faisait les cents coups avec mes petits camarades de l’école, quelques-uns uns des petits voyous. Le tout pour moi était de ne pas me laisser crocher par mon père quand il était libre, car alors il m’emmenait dans son bureau pour m’apprendre ou me faire réciter des fables de La Fontaine ou des passages d’Athalie. Il voulait me les faire goûter, mais ne pouvait que m’en dégoûter. C’est seulement plus tard que je les appréciais et sus gré à mon père de me les avoir apprises. Maintenant je me les récite encore.
A l’école de Sauveterre, j’étais à la tête de ma classe, mais turbulent. En calcul j’étais brillant, et l’instituteur me faisait faire des problèmes de classes beaucoup plus élevées.
Le fils du notaire et du pharmacien, en classe avec moi, partirent au lycée (alors, le secondaire différait déjà du primaire dans les bonnes classes). Moi, je restais. Mon père en avait probablement assez de payer des études à ses enfants. Mes aptitudes en math ne valaient pas grand chose à ses yeux et le peu de goût que j’avais pour les auteurs classiques lui donnait à penser que je ne ferais pas de bonnes études.
IL envisagea de me faire rentrer jeune dans le commerce ou de m’envoyer en Argentine ou beaucoup de béarnais faisaient fortune. Il m’en parla et je ne dis pas non. L’idée de faire du commerce et de gagner beaucoup d’argent me plaisait.
Quand mon père voulait me punir, et ce n’était pas rare, il m’allongeait des gifles dont j’ai gardé un souvenir cuisant. Un jour je me rebellais, et vainquant la douleur, le regardait en le narguant ; il m’en donna une sur l ‘autre joue, et stoïque je le narguais encore ; ce fut la dernière gifle. J’ai médité la dessus, me demandant si je devais ou non vous appliquer des châtiments corporels.
Je fis de l’anglais avec mes sœurs de retour d’Angleterre. Cela devait me servir pour le commerce. On s’amusait à parler anglais, et tout jeune j’en savais un peu.
Mathilde et Jeanne, très musiciennes, me donnaient des leçons de piano ; J’y mordis et jouais un air de Don Juan de Mozart avec plaisir. Mais un camarade me vit par la fenêtre et le lendemain me dit en se moquant de moi « tu joues du piano ! Mais c’est pour les femmes çà ! ». Je refusai absolument de continuer.
En 1902, je passais brillamment le certificat d’études avec félicitations du jury. D’autre part, mon instituteur exposa à mon père que je devais aller à l’école Polytechnique. Celle-ci avait un grand prestige, et en avait aux yeux de mon père, même s’il n’attribuait pas grande valeur à mes aptitudes pour le calcul. Il y avait dans la famille deux X, les Begbeder, qui avaient très bien réussi, l’un surtout. Il renonça pour moi au commerce. Je ferais des études secondaires, mais n’allai pas encore au lycée. Il coûtait cher.
Je restait à l’école communale, au « cour complémentaire » et mon père me donna des leçons de latin ( comme il l’avait fait pour mes frères et sœurs). Tous les matins ou presque, de 7h à 8h30 – c’était dur ! -. S’il m’avait dégoûté plus petit de La Fontaine et Racine, il sut me donner goût au latin. Sans doute me l’apprit-il comme on le lui avait appris 50 ans avant. (je vois que dans votre génération, on faisait tout pour vous en dégoûter). J’appris des passages de Virgile que j’aimais réciter et que je me récite encore.
J’avais fait de l’anglais, mais à l’X, l’allemand était alors obligatoire. Je pris quelques leçons avec un Alsacien, professeur de musique, sans grand fruit.
Du « cours complémentaire », je garde un bon souvenir.
L’enseignement qui comprenait les éléments de l’algèbre et de la géométrie n’était pas mauvais. J’avais de bons camarades avec lesquels on faisait de grandes ballades dans les bois, et des parties de pelote. L’été, on allait se baigner dans le gave. Ils étaient des fils d’artisans, de petits commerçants, de paysans aisés. Sur 16 ou 17, une bonne moitié passeraient, à la guerre de 14, officiers d’infanterie et furent tués. L’un d’eux, engagé dans la cavalerie moins exposée, réchappa, passa officier puis rentra dans la garde républicaine à cheval ; je le rencontrai à Paris, c’était un officier superbe que l’on remarquait. Retraité, il fut longtemps maire de Sauveterre, ce qui, étant déjà officier de la légion d’honneur à titre militaire, lui valut d’en être commandeur.
Après deux ans, j’entrais en troisième au collège de Bagnère de Bigorre. Il eut été normal de me mettre au lycée de Pau. Mais mon père, qui y avait été cinquante ans avant, avait quelque chose contre lui, peut-être, j’ai cru le comprendre plus tard, des histoires d’homosexualité entre pensionnaires. Mes frères avaient été au lycée de bordeaux, et il fut question de m’y mettre. Ce fut Herminie Pécaut, dont je parlerai plus loin et à qui j’en ai toujours voulu, qui suggéra à mon père de me mettre au collège de Bagnère de Bigorre, dont elle connaissait plus ou moins le principal. Le prix de la pension, moitié du lycée ne fut pas, évidemment, pour déplaire à mon père.
En latin, je fus de loin le meilleur. En math, je fus tout de suite de loin à la tête. Il faut dire qu’il n’y avait que cinq ou six élèves par classe et qui n’étaient pas des as. En allemand, je fus déficient. Mais, bien qu’à peine ou même pas licencié, nous avions un excellent professeur qui se donnait à nous, et nous n’étions que trois. Je fis de rapides progrès et parlais couramment quand, deux ans plus tard, à quinze ans, j’allais en Allemagne.
Le fils aîné avait un livre de chevet : « Heil und kraft durch natur » - « santé et force par la nature ». Il avait des adeptes et j’en fus. Il fallait vivre aussi près de la nature que possible, vivre au grand air, s’aguerrir au froid. Je crois que cela eut le meilleur effet sur ma santé et mon développement physique.
Vint le bachot de Première. Bien peu d’élèves de Bagnère y arrivaient, et mon succès comptait pour tout le collège. Ayant fait de l’anglais, le principal me présenta aux trois bacs, latin-langues, latin-sciences, et sciences-langues. Sur le palmarès, on vit mon nom aux trois, assez bien en latin langues, bien aux deux autres.
Après ce beau succès j’entrai en math-elem au lycée de bordeaux. Au bac de math elem, j’eus la mention bien.
Un an d’hypo, un an de taupe, je fus reçu à l’X.
La taupe de bordeaux était alors très bonne, même si les fils de familles huppées, comme André Boucher allaient à Paris.
A l’X, je ne fis rien de bon. Il fallait trop ingurgiter pour bien comprendre ; cela ne me plut guère, et je renonçai à la botte, pour ne plus en fiche lourd. Alors, on faisait avant d’y entrer, une année de service comme simple soldat, puis une à la sortie comme sous-lieutenant. Et ce fut la guerre de 14.
Sauf quelques rares petits séjours en montagne, et moins encore à la mer, mes vacances se passaient à Sauveterre, et j’en ai gardé le meilleur souvenir. Le gave remplaçant la mer. J’avais de bons camarades dans la jeunesse estudiantine de Sauveterre. Baignades, parties de pelote, courses à bicyclette.
A partir de seize ans, je passais le gros de mon temps à Guinarthe ou j’avais mon cousin Jean, un peu plus âgé que moi, et des cousines avec qui l’on s’entendait bien. Mon oncle Joseph m’adopta un peu. Plus jeune de vingt-cinq ans que mon père, il me comprenait mieux. Parties de pêche ou chasse avec Jean, avec ou sans mon oncle, chasse aux champignons ou venaient aussi mes cousines ; s’il n’y en a plus maintenant, il y en avait tout le mois de septembre. Avec Jean, nous travaillions aussi pour mon oncle, coupions son bois, et en récompense, il nous amenait faire des séjours à Ahusguy, petite station thermale au milieu de la montagne basque, que Jean et moi aimions beaucoup, et ou je suis revenu avec Jean-Pierre.
Mes dernières vacances furent celles de 1913, à la suite de l’X. Toujours fidèle à Guinarthe, j’eus un excellent camarade de l’X, Bourdé dont les parents habitaient l’été à dix kilomètres de Sauveterre. Nous fîmes de nombreuses expéditions en montagne et précurseurs du canoë, encore inconnu en France, nous descendîmes les gaves dans un canoë de notre conception, non sans incidents. Ses parents étaient très riches. Béarnais, d’origine modeste, partis jeunes en Amérique, ils en étaient revenus avec une bonne aisance, gardant un grand terrain, de peu de valeur, mais qui en prit soudain une considérable. Il avait une auto à sa disposition avec un chauffeur et réglait des dépenses que je n’avais pu assumer, par exemple le canot et ses transports ; c’était un peu gênant pour moi mais c’était toujours lui qui venait me chercher.
Il fut tué tout au début de la guerre.
A - L’aîné Paul dit Poullou (environ 1785 – 1876) – voit p.2.B –
B - Un épousa une demoiselle Saffores d’Autevielle, assez riche probablement, et s’y installa. Il eut une fille unique, Marie, qui épousa Beigbeder de Salies, qui émigra à Paris ou il était enseignant, et eut deux fils ; David et Emile et deux filles. Il acheta le château D’Autevielle dont David et Juliette étaient si fiers, comme d’un château de famille.
C - Un s’établit à Nay (à 20 km de Pau) ou il semble avoir été commerçant.
D’une première femme, il eut deux filles, d’où David Larouyat, et d’une deuxième, Asserguet dite la « Carribasse », deux fils, Paul et Jules.
Paul épousa la fille d’un négociant de Brest, lui succéda, dut réussir, car il maria avantageusement ses quatre filles, l’une à un gros brasseur de pau.
Jules, après avoir été commerçant, entrepreneur, se retire à Nay. Plus jeune que mon père, bien que d’une génération antérieure, je l’ai très bien connu ; J’allais souvent , de Bagnère de Bigorre ou j’étais au collège, passer le Dimanche chez lui.
C’était un homme sympathique, bon vivant, plein de bonnes anecdotes, et aussi de bon conseil pour les affaires. Il animait une société de félibres béarnais, écrivait des vers en patois. De sa mère, surnommée la Carribasse, sans doute pour ses fortes dimensions, il les avait héritées, et taillé en force, il était d’une vigueur exceptionnelle. Un jour, un pickpocket s’en prit à lui ; il sentit la main dans sa poche, la saisissant sans que le voleur ait eu le temps de la retirer, et la maintenant ainsi dans la poigne d’acier, conduisit sans mot dire le délinquant à la gendarmerie voisine.
D – Joseph (1810 – 1891) dernier de tous les enfants, fut élève pasteur à Montauban, puis toute sa vie pasteur à Salles-Mongiscard (la commune des Privat), où il y a un petit temple. Sans autre ambition que de servir le seigneur et aussi ses concitoyens qui le prirent pour maire.
Il eut deux filles, Adèle restée vieille fille et Loïse qui épousa le pasteur Privat (d’origine suisse ou qui y exerça), en eut trois fils, Charles, Etienne et Joseph, et quatre filles restées célibataires. J’ai connu enfant Adèle et Loïse, deux petites vieilles, et c’est par elles que ma sœur Mathilde a eu beaucoup de souvenirs sur les Carrive et notamment Marie Datournou dont Joseph était le préféré.
Joseph épousa ma sœur Mathilde.
Etienne Privat tient une place dans ma jeunesse. Ce n’était pas un type banal. D’une culture un peu hétéroclite, mais sérieuse et vaste. Artiste, il avait chez lui de nombreuses copies de tableaux de maître faits par lui. De ses mains il savait tout faire. D’opinions politiques avancées, il se présentait régulièrement aux élections de députés comme socialiste.
Après avoir un peu roulé sa bosse, il s’était retiré sur sa petite propriété et tenait à montrer que l’agriculteur travaillant sa terre peut vivre largement et agréablement – et il le montrait.
Nous nous entendions très bien, malgré trois ans de différence, c’était presque comme un camarade. J’avais mes entrées chez lui, y faisais des petits séjours. On faisait des parties de pêche, de chasse aux champignons, je l’aidais dans ses travaux.
Il était séparé de sa femme, et vivait avec sa fille Renée, plus âgée que moi d’un an. Garçonne, c’était pour moi un bon camarade.
Les filles :
E - Une épousa Larouyat de Rivareyte ( à côté d’oncle Jean), dont vous avez connu les arrières petits enfants. Encore une ferme et une famille qui doit dater de loin. Elle prospère encore, mais faute de mâle est passé dans les mains des femmes.
F - Une, (1800 - -1891) épousa le pasteur Mourgues de Sauveterre. Elle eut un fils pasteur aussi à Sauveterre, et d’autres enfants, d’où les Brindel et Morel. Née en 1800, le jour de Marengo, elle mourut à Sauveterre en 1891, quelques jours après ma naissance. On l’appelait la tante Mourgues.
G - Une, la dernière, épousa Malan, commerçant à Saint-Palais. Son fils émigra à Paris ou il eut quatre fils dont Charles Malan de Bettiri-Baïta et épousa ma sœur Jeanne, et une fille mariée à Becq, mère de Jean Becq.
H - Une épousa un Lauga et eut un fils que Jean-Pierre a connu.
I-J-K - Les trois autres épousent Chicoy des Mosques, Capdevielle de Ste Suzanne et une autre, un propriétaire des environs dont je ne me souviens plus.
Marche - Simounet
- Pécaut
(Paul) (Joseph) (Pierre)
Dates de naissance approximatives des Marche :
Pierre : 1790
Emilien : 1820
Philadèle : 1822 - 1894
Emile : 1850 - 1895
Jane : 1879 – 1956
Vers 1820, un pasteur, Pierre Marche, acheta la belle propriété de Pelletan, à un kilomètre de la Girarde ; avec la dot de sa femme, dit l’acte d’achat que Jane ma belle sœur m’a montré, mais Bouzy ne l’avait plus quand j’ai voulu le revoir.
Il s’y retira, s’occupa sans doute de culture, mais sans lâcher son état. Il faisait le culte au petit temple voisin d’Eynesse, faisait des cours dans une institution secondaire proche, donnait des leçons et avait des pensionnaires au Pelletan. D’où venait-il ? Je l’ignore.
Il eut deux fils, Emilien (environ 1820 à 1875). L’aîné et Philadèle, père de ma mère.
Emilien fait des études de droit, peut-être des tentatives pour être avocat, mais se retira vite au Pelletan qu’il exploita. Il eut un fils Emile et une fille qui épousa Sallavert de Ste Foy. Il dut mourir assez jeune.
Emile (environ 1850 – 1900) lui succéda au Pelletan qu’il exploita. Il eut une fille Jane qui épousa mon frère Jean, et deux fils, Georges et Maurice. Il fut malade et mourut jeune, vers 1900, après le mariage de Jane. Livrés à eux-mêmes, Georges et Maurice ne firent pas d’études sérieuses, et vers 1905 partirent en Argentine ou ils végétèrent. Le Pelletan périclita, l’époque étant mauvaise pour les vignobles. Jane acheta à ses deux frères leur part dans le Pelletan et en resta seule propriétaire pour pas bien cher sans doute. Sallavert de Ste Foy, oncle de Jane, géra la propriété et sans doute la géra bien. Après les mauvaises années il y en eut de bonnes, notamment la période de guerre 14 à 18 qui fut excellente.
Jane et Jean en profitèrent, mais finalement ils vendirent la propriété pour un bon prix vers 1920, Jane craignant, disent les mauvaises langues, que ses frères veuillent y revenir.
Ainsi sortit de la famille, après y avoir été cent ans, le Pelletan.
Revenons à Philadèle, mon grand-père. Il se fit pasteur. Il épousa vers 1850 une demoiselle Pauvert. Une grande famille des environs, d’ou sont sortis des pasteurs, des médecins, des professeurs (un normalien) et tout récemment un éditeur connu (de livres plus ou moins pornographiques).
Philadèle perdit la foi et se retira vers 1852 à la Girarde, qui sans doute fut aussi acheté avec la dot de sa femme et grossie de terres prélevées sur le Pelletan. Lui, abandonna complètement l’état de pasteur et se consacra uniquement à ses terres. Et il semble les avoir bien géré. On retrouve à la Girarde ses livres de compte ou tout était en ordre.
Il était sympathique et restait un homme cultivé tout en se consacrant à ses terres. Mon père, puis mon frère Adolphe l’apprécièrent beaucoup.
Il eut un fils Abel ( 1852 – 1915) et une fille Marguerite ( 1854 – 1937).
Après la guerre de 70, mon père, jeune médecin s’établit à Genssac, à neuf kilomètres de la Girarde. Il connut Marguerite et l’épousa, bien qu’elle eut treize ou quatorze ans de moins que lui.
Abel, mon oncle, fit ses études de médecine et se fixa à Ste Foy ou il resta toute sa vie (il ne vécut pas vieux). Il passait pour un excellent médecin et avait une belle clientèle. Il avait deux passions : La mécanique et les inventions nouvelles. Il fut des premiers à avoir une auto, un phonographe, etc.… et les changeait dés que l’on faisait mieux (il mourut avant la t.s.f.). Le grenier de la Girarde était un capharnaüm ou s’entassaient vieux phonos, pièces de mécanique, et de grandes affiches sur les autos ; L’une disait « On a fait 20 Km à l’heure, puis du 30,du 40,..du 60. Tout porte à croire qu’on peut mieux faire encore. Mais le corps humain pourra-t-il supporter des vitesses supérieures. ».
Autre passion, la Girarde qu’il prit en main à la mort de son père. Il trouvait moyen, sans compromettre sa clientèle d’y aller régulièrement, dirigeait la culture, le choix des engrais, faisait des installations nouvelles, l’eau avec un bélier, par exemple. Il faisait un petit vin doux, genre Madère, dont je garde le souvenir et que l’on n’a pas continué ensuite, et dont il avait la fierté. Je crois d’ailleurs qu’il ne regardait pas à la rentabilité et dépensait à la Girarde une partie de ses gains de médecin.
Revenons à mon père. Lui était hostile à toutes les choses nouvelles, et resta fidèle au cheval, et n’accepta d’installer l’électricité dans sa maison que dix ans après tout le monde.
Après son mariage, il quitta presque tout de suite Gensac, pour s’installer à Sauveterre, lâchant, m’a dit ma mère, une bonne clientèle pour une bien inférieure. Sans doute voulait-il retrouver son Béarn natal, peut-être défendre ses chances sur la propriété de Guinarthe.
A part son beau-père Philadèle, il ne semble pas avoir eu beaucoup d’affinités avec sa parenté Marche qui l’appelait « Le Béarnais » avec une moue péjorative. Le polyculteur béarnais qui amasse régulièrement et moyennant un travail suivi, de petits gains, ne voit pas les choses sous le même angle que le viticulteur qui a tantôt une bonne récolte, tantôt une mauvaise récolte et s’adonne volontiers au hasard, dépensant son argent quand il en a.
Après son départ, il y eut des sujets de discorde : Son frère Pierre, dont il était un peu le protecteur vint à Gensac et à la Girarde. Il connut Abel Marche, du même âge, tous deux étudiants, ils se lièrent. Abel vint à Guinarthe ; ils firent des excursions en montagne. Pierre retourna à la Girarde après le départ de mon père. Ils échangeaient des lettres, et on en retrouve de Pierre à la Girarde, où l’on voit leur bonne amitié.
Mais pour Pierre, il n’y avait pas qu’Abel, mais aussi sa cousine Louise Pauvert qui venait souvent à la Girarde. Pierre chargea Abel de dire son amour à sa cousine, et Abel s’acquitta de la mission. Mais Louise se jeta en larmes à son cou : « Ce n’est pas lui, c’est toi que j’aime ». Abel ne put résister à cet amour ardent, et épousa Louise. Telle est du moins la version Marche. Peut-être la vérité est elle un peu différente.
Ce qui est certain, c’est que mon père, qui n’était pas toujours commode et assez impulsif, jugea qu’il y avait un affront grave pour les Carrive et rompit toutes relations. Par la suite, il devait d’ailleurs s’en féliciter car Pierre épousa Berthe Pécaut fille de Félix Pécaut (dont je parle ailleurs), pour lequel mon père avait une admiration profonde.
Mais il y eut d’autres sujets de discorde. Vers 1895 ou 1896, l’héritage à partager entre Abel et ma mère ; en 1904, le mariage de mon frère Adolphe avec sa cousine Hélène auquel mon père s’opposait.
Finalement, on se réconcilia. En 1909, mon oncle Abel et ma tante Louise vinrent à Sauveterre. Ils vinrent en Auto, Abel apporta son phono et ses disques et fit sensation.
Jusqu’à la mort de grand-mère (1895 ou 1896), ma mère vint régulièrement passer une partie des vacances avec ses enfants à la Girarde. C’est là que mes frères se fiancèrent, Jean à Jane Marche pour se marier en 1898, Adolphe à sa cousine Hélène pour se marier plus tard en 1904.
A la mort de mon oncle Abel, la Girarde devint la propriété de mon frère Adolphe, Hélène en avait une part et lui apportait une hypothèque dessus.
Jacques étant mort en 1944 à la libération, Jean en devint le seul propriétaire à la mort de son père vers 1950. Il a vendu les vignobles et le gros des terres, ne gardant que la maison et quelques prairies. A défaut d’enfants, je pense qu’elle est revenue entièrement à Lotte à sa mort.
Elle s’y est attachée, y a fait de gros frais, en fait encore, disposant avec un traitement confortable d’une rente viagère laissée par un parent.
A qui le laissera-t-elle, et qui s’en chargera à sa mort ? – Les héritiers, un frère, une sœur, des neveux et nièces habitent l’Argentine ou le Pérou, ne sauraient qu’en faire et probablement le vendront pour un morceau de pain, car ses bâtiments ont une faible valeur. Lotte peut, par testament, le laisser à quelqu’un d’autre. Elle m’a tâté pour savoir si la Girarde n’intéresserait pas un de vous. La charge serait lourde.
[Considérations généalogiques :
De mon oncle Abel Marche, il ne reste aucun descendant. D’Emilien Marche, frère de mon grand-père, il ne reste qu’un descendant, qui mourra sans progéniture.
Le nom de cette branche Marche a disparu (les frères de Jane pourraient avoir en Argentine un descendant, mais je ne le crois pas).
Par contre, sous un autre nom, il reste, de Pierre et Philadèle Marche, pasteurs, vous et tous vos cousins Carrive.]
Vint la guerre de 14. André Simounet fût, dés les premiers jours, blesse au front, resta prisonnier des allemands et trépané.
Quand il y eut des permissions pour les soldats du front, je m’arrêtais en général à Bordeaux et allais chez les Simounet ou j’étais accueilli comme un héros. Monsieur sortit pour moi de sa cave des bouteilles prestigieuses. La période était propice aux vins. Madame, encore jolie et séduisante ; Les affaires du courtier allaient mieux que jamais. On espérait qu’André, réformé, serait bientôt relâché par les Allemands.
Je repartis pour l’armée d’Orient et ne revins qu’en août 1919. André, effectivement relâché s’était marié avec Suzanne Julian, fille de l’académicien, et avait déjà un fils Philippe. Ce mariage avait surpris tout le monde. Du moins était-il assorti au point de vue financier ; enfants uniques tous les deux, André et Suzanne avaient reçu une belle dot et avaient de beaux espoirs.
Julian avait épousé une fille du docteur Azan, l’autre fille ayant épousé un Flouch dont elle avait eu six enfants. Je l’ignorais complètement.
Vers 1921- 1922, je songeais à me marier. Je cherchais femme dans des centres protestants, chez des amies de Bouzy, sans suite. Adolphe et Mathilde, qui habitaient Bordeaux, m’y trouvèrent un parti magnifique : Alice Dormoy, fille d’un X qui avait une grosse fonderie à Bordeaux, et cherchait en même temps un mari pour sa fille et un dauphin, X si possible, pour sa fonderie.
Je débarquais à Bordeaux en juillet 1922. Tout avait été organisé par tante Amélie, demi-sœur de monsieur Dormoy, mais qui ne lui ressemblait guère.
Rendez-vous avec Alice chez elle. Puis le lendemain avec le père à son bureau. Alice était laide comme un pou, et je compris pourquoi on ne m’avait pas donné la photo que je demandais. Au père, un petit pète-sec désagréable, je dis que je ne pouvais lâcher ma situation actuelle, et donnait le même motif à la tante Amélie pour me dégager sans désobliger Alice.
La tante Amélie qui voulait faire des heureux ne me lâcha pas ; par suite de l’hécatombe de la guerre, les jeunes hommes à marier étaient rares, et me présenta à deux autres jeunes filles, sans suite.
Dégoûté, je fus sur le point de partir, puis me ravisai et allai chez Monsieur Simounet qui m’accueillit toujours aussi bien. J’ai ce qu’il vous faut, une cousine de ma belle-fille, Marguerite Flouch. Dés le lendemain, elle venait chez les Simounet, et dans le jardin, nous nous fiançament virtuellement. Les choses marchèrent rondement. Nous passâmes quelques jours à Saint-Jean de Luz, chez André et Suzanne, Marguerite vint à Sauveterre et nous nous marrions au mois d’octobre.
(1) Alice Dormoy avait été proposée à André Boucher. Eliette et lui connaissaient les Dormoy et la tante Amélie, dite « Méli-Mélo ». Elle passait pur avoir eu des aventures et avoir été la maîtresse de Steeg, le président du conseil.
(2) Au printemps 1914, faisant mon service militaire comme sous-lieutenant, je fus au mariage de mon cousin André Marche (mort depuis) à Sainte Foy. Il y avait une jolie demoiselle d’honneur. J’avais 22 ans, elle 18 ou 19 ans. On causa, on flirta, on se plut et devait se revoir. Mais je ne songeais guère alors à me marier, et ce fut la guerre de 14.
En 1921, je cherchai et trouvai sa piste. Elle était déjà mariée. On devait néanmoins se retrouver à la Girarde ou elle devint la compagne de Lotte.
Vers 1860, un docteur Azan épousa la fille unique de gros négociants de Bordeaux, très riches sans doute. Il ne continua la médecine qu’en amateur, correspondant de la faculté de Paris, fit un livre et un essai qui ne passa pas inaperçu sur un cas médical. Il fut surtout amateur d’art et avec l’argent de sa femme, fit de belles collections, tableaux, tentures, etc.…
D’où venait-il ? Marguerite voulait qu’il soit d’origine arabe, sans aucun fondement je crois. D’après Eric, la famille était originaire du Gers, ses ancêtres auraient été barbiers puis chirurgiens d’un prince. A Paris, j’ai trouvé un Azan qui avait un immeuble sinistre. La famille était à Paris depuis plusieurs générations, mail il croyait en effet se rappeler qu’elle venait du Gers.
Azan eut deux filles.
Madeleine qui épousa l’académicien Julian et en eut une fille Suzanne.
Marguerite qui épousa Gaston Flouch et en eut trois fils et trois filles.
Les époux Azan laissaient une grosse fortune, immeubles, propriétés à Pessac et en Gironde viticole, collection de valeur. Madame Flouch était divorcée, et affichait un superbe mépris pour les questions d’intérêt.
Elle confia le partage à Julian, son beau-frère, qui la roula ignoblement ; Comme Eric put le constater par la suite mais trop tard !
IL prit les meilleurs immeubles, les plus belles collections, vendait pour un morceau de pain la propriété de Pessac qui devait plus tard prendre une grande valeur, et la propriété viticole.
C’est aussi sur le conseil de Julian que Madame Flouch laissa Eric à l’école primaire. S’il se débrouilla bien, ayant probablement hérité des qualités d’homme d’affaires de son grand-père Flouch, et si autodidacte il sut se constituer une certaine culture, les études secondaires manquèrent certainement à son équilibre. On conçoit qu’il n’ait pas eu l’oncle Julian dans son cœur.
Le grand-père de Marguerite était un des plus gros négociants de Bordeaux et fut président de la chambre de commerce. Il était « chartrons », haut du pavé bordelais. Marguerite disait qu’il avait une ascendance italienne, qu’il y avait eu des « Flouqui d’Extramont », mais n’était pas autrement fixé.
Il eut une fille et quatre garçons.
La fille, la tante Julia Renaud, fut élevée dans le luxe, se promenant, disait Marguerite, dans une voiture à chevaux qui portaient à leur tête des bouquets de violettes de Parme. Elle reçut en héritage un grand domaine à la Rècle ou elle vivait en partie. Je la connus bien.
C’était une maîtresse femme. Elle avait épousé un chevalier d’industrie, très bel homme, « Renaud », qui avait quelque argent mais le dissipa. Julia lui ferma alors les cordons de la bourse et il bricolait dans les antiquités.
Elle eut une fille Odette, mariée à Larronde, mais qui vivait séparément ; très belle mais originale. C’était la marraine de Georges qui ne reçut rien d’elle. Elle mourut jeune encore. Et un fils Maurice, un noceur sympathique, faisant de l’aviation, et qui doit vivre encore sur le domaine de la Réole.
Les fils se partagèrent l’affaire ou en montèrent une avec les fonds laissés par leur père. L’aîné, sans égaler son père, réussit assez bien, sa fille étant championne de tennis.
Les autres réussirent mal. A Vaucresson, Marguerite reçut la visite de ses cousines, tombées dans le dénuement, et faisant des gardes d’enfants.
Gaston épousa Marguerite Azan. Il avait une affaire de vins à Bordeaux et à Agen une affaire de pruneaux. Au début, on connut le luxe. A Arcachon, Gaston avait une belle villa, un bateau, un marin à son service. Mais les affaires périclitèrent vite, Marguerite connut des moments vraiment durs. L’héritage Azan vint heureusement arranger les choses. Gaston quitta sa femme, lui laissant tous les enfants. On le comprend, étant donné le manque de séduction féminine de ma belle-mère. Ou c’est elle qui le remercia, craignant qu’il ne touche à l’héritage Azan. Il finit ses jours avec sa maîtresse dans une petite maison de paysan, à côté de la Réole. Avec André, Eliette et Marguerite, nous le vîmes à la Réole, chez la tante Julia qui l’avait un peu sous sa protection et avait arrangé le rendez-vous. C’était un pauvre homme, vieux avant l’âge, un vaincu de la vie. Il fut tout de même heureux de revoir ses filles qui avaient gardé de lui un bon souvenir, et de connaître leurs maris.
Livrés à eux-mêmes, les fils aînés ne firent guère d’études. Jacques, le second, fit de la prison ou la frisa, fit son service militaire dans les bataillons d’Afrique, se réhabilita à la guerre de 14, trouva une place en Mozambique et revint en France pour y mourir vers 1921.
Daniel, l’aîné, trouva une place en Roumanie ou il végéta et mourut vers 1954, laissant une femme roumaine Julia, et un fils Jacques qui revinrent en France.
Jacques (deuxième du nom), né en 1915, n’avait aucune instruction sérieuse et une moralité douteuse. En vain, Eric s’intéressa à lui et chercha à en faire quelque chose. Il fit son service militaire, puis bricola des affaires douteuses. Il épousa une femme, employée de boutique à Pau, en eut un fils et une fille qu’il abandonna pour aller mourir dans le dénuement. Jacqui (sa femme), a le mérite d’avoir élevé ses deux enfants qui étaient gentils et semblent avoir bien tourné.
Notes établies en grande partie d’après les mémoires de ma tante Berthe ex Pécaut, tombés, je ne sais comment, à la Girarde ou je les ai eus en mains. Mais aussi avec quelques autres éléments et quelques souvenirs.
Vers 1810 – 1850, vivait à Salies Pierre Pécaut. Il fut fabriquant de chocolat, colportant sur deux mulets ses produits des fins fonds du pays basque ou landes au Gers, jusqu’à Nérac. Il lâche le chocolat pour le sel et exploita les salines de salies. C’était un commerçant avisé, estimé de tous ( sans être toutefois admis dans la bonne bourgeoisie, fils d’un petit vigneron) et bien protestant ardent. Au physique, un bel homme aux larges épaules, maniant aisément les lourds sacs de sel pour donner un coup de main à ses ouvriers.
Il épousa vers 1825 une demoiselle Beigbeder, sœur du mari de Marie Carrive d’Autevielle. Le ménage fut d’abord stérile. Ils invoquèrent le seigneur pour avoir un enfant, et en 1828 leur naquit un fils Félix. Pour remercier le seigneur, ils décidèrent de consacrer Félix à son culte. Le seigneur ne sembla guère leur en être reconnaissant, car, peu après, il enleva sa femme à Pierre resté veuf.
Félix grandit. A l’encontre de son père, le robuste marchand de sel, il était maigre et fluet, il le resta toute sa vie et il y avait dans sa personne quelque chose d’immatériel, mais il montra une intelligence précoce. Il était « tout esprit », disait-on. A sept ou huit ans, son père le mit en pension chez le pasteur de Nérac, un alsacien, Hausmann (avec un s), qui devait plus tard avoir quelque notoriété dans le corps pastoral. Il y avait à Nérac, un autre alsacien, le sous-préfet Haussmann ( deux s) qui devait plus tard devenir le préfet de Paris, perça le boulevard et lui laissa son nom. Les deux alsaciens sympathisaient, le sous-préfet s’intéressa au petit Félix et lui fut utile plus tard.
A dix ans, Félix entre au collège protestant de Sainte Foy, disparu depuis, mais alors florissant. Il y fut un élève brillant. Bachelier à quinze ans, il entra à la faculté protestante de Montauban comme élève pasteur, et pendant cinq ans, suit ses cours.
Mais il ne fut pas longtemps pasteur. Il s’écarta de la religion.
Le gros dictionnaire cite : « théologien protestant, philosophe et écrivain pédagogique, collaborateur de Jules Ferry » - Sa philosophie était austère. Etienne Privat, neveu de sa femme, qui ne l’aimait pas, le résume irrévérencieusement : « Si vous avez envie de pisser, retenez vous ». Mais il avait des adeptes. Mon père, qui le connut bien, avait pour lui une grande admiration. Jules Ferry, un grand ministre de la troisième république, qui réorganisa l’enseignement, le distingua et le prit pour collaborateur. Il créa, et en fut longtemps directeur, l’école de Fontenay, qui forme les cadres supérieurs de l’enseignement primaire.
Sur la rive gauche du gave, à quatre ou cinq-cent mètres des Privat, à Salles Montgiscard, se trouve la belle propriété de Ségalas. Vers 1840, elle appartenait à monsieur Labourdette, un avocat d’Orthez, le haut pavé orthézien. Avec un grand domaine, des métairies tout autour, et aussi tout près des sources de Baur avec un petit établissement thermal. Quatre filles Labourdette y vivaient :
Sophie, l’aînée, épousa un médecin de Salies. Ils eurent une fille, Herminie.
Laure ne se maria pas.
Florie épousa Emile Dufourqué, tanneur à Salies.
Caroline épousa le pasteur Joseph Carrive, « fils de paysans » (Voir descendance de Jean Carrive).
Herminie connut les deuils et les chagrins. En bas age, elle perdit sa mère, enfant, elle perdit sa tante Laure qui l’élevait, et vers dix-sept ans, son père. Elle prit alors pour tuteur son oncle Emile Dufourqué. Elle était d’un naturel triste, ne jouait pas avec les autres jeunes filles. Elle lisait toujours, dit une de ses cousines (Adèle Carrive) tout ce qui lui tombait sous la main, et le plus souvent c’était des livres sérieux.
Elle connut Félix Pécaut, et ils conçurent l’un pour l’autre un amour profond. Mais Emile Dufourqué, tuteur d’Herminie, s’opposait au mariage. Entre temps, Labourdette était mort, le domaine partagé entre les quatre filles, et Herminie, branche aînée, avait eu Ségalas. Le tuteur voulait la marier à son fils pour avoir Ségalas dans sa famille.
Herminie se maria en 1851, le jour de sa majorité, apportant Ségalas à Félix Pécaut. Celui-ci était encore pasteur, et a semble-t-il quitté cet état vers 1853 ou 1854. L’oncle Beigbeder avait monté un établissement d’éducation à Paris. Nommé par le gouvernement impérial directeur de l’école normale primaire, il passa l’établissement à Félix.
Si les fonctions d’éducateur convenaient à Félix et Herminie, il y avait un coté marchand de soupe qui leur déplaisait. Ils n’y restèrent pas bien longtemps. En 1958, ils s’installèrent à Salies. Dans l’intervalle ils avaient eu trois enfants, Elie, l’aîné et deux autres morts. Ils y restèrent jusqu’à la mort de Pierre, en 1873. Ils s’en allèrent alors à Segalas, où ils passaient l’été seulement. Ce n’est que vers 1879 qu’ils s’installèrent à Fontenay, dont Félix créait l’école.
C’est à Salies ou Segalas que Félix écrivit ses livres. Ce n’était pas des best-sellers ; Herminie parlait de petits revenus. Mais le sel donnait bien et Pierre « ne travaillait, ne gagnait d’argent que pour ses enfants » ( tante Berthe). En voulait-il à Félix de s’être écarté de la religion des ses aïeux et d’avoir trahi l’engagement pris par ses parents de servir le seigneur ? Il ne semble pas. Dans la maison de Salies, fils et belle fille entretenaient les meilleures relations. Quand Pierre allait vendre de sel à Pau, il rapportait toujours un cadeau à Herminie.
Il y eut toutefois un nuage passager. Veuf de bonne heure, et doué d’un tempérament robuste, Pierre avait des besoins. Un jour, Herminie le surprit en délicate posture ; horrifiée, elle lui battit froid et s’en ouvrit à Félix. Celui-ci, malgré son austérité lui expliqua et lui fit comprendre que Pierre pouvait avoir de besoins et qu’il ne fallait pas lui en vouloir. Tout repris et Herminie rétablit ses bons rapports avec lui (tante Berthe le raconte et ne peut tenir la chose que de sa mère veuve).
Pierre mourut en 1873 et presque en même temps que sa belle sœur veuve, la tante Tata qui tenait la maison de Salies. Alors les Pécaut, qui avaient trois enfants, s’installèrent complètement à Segalas. Ils ne s’installèrent à l’école de Fontenay que Félix venait de créer qu’en 1879/1880. Mais il semble que bien avant, Félix fut distingué par la troisième république et eut un autre poste.
A Salies, et surtout à Segalas en été, Félix recevait des amis ou adeptes, des écrivains comme de Pressensé et Edgar Quinet ; des pasteurs, Steeg de Libourne père du président du conseil, Mourgues de Sauveterre, son condisciple de Montauban, fils de la sœur de Poullou Carrive.
Félix mourut en 1898. Je me souviens de l’avoir vu, vers six ans. Il me frappa par sa maigreur, il me parut laid et l’air méchant.
Herminie mourut plus tard en 1906. Elle se retira chez ma tante Berthe, sa fille, ma marraine, chez qui j’allais souvent et faisais même des petits séjours. Je la connue bien et la détestait profondément. Elle m’accablait sans cesse de reproches : Je me tenais mal à table, je faisais du bruit, j’étais chapardeur, menteur et avait un mauvais naturel. Sans doute que n’ayant pas de sang Pécaut comme mes cousins, j’étais un être inférieur et mauvais. Mais alors qu’ils étaient délicats et souvent malades, j’avais une bonne santé. En compensation, je devais être bête, mais l’institutrice me disait intelligent !. C’est sur son conseil que mon père me mit au collège de Bagnère de Bigorre, dont j’ai gardé un bien mauvais souvenir. La plupart des élèves n’ayant d’autre ambition que de rentrer dans les postes ou les douanes. Je ne m’y fis pas d’amis comme dans un lycée Ma tante Berthe était au contraire très gentille avec moi, et me gâtait.
Félix et Herminie eurent trois enfants :
L’aîné, Elie (1854-1916 environ), médecin à Paris, qui, pour raisons de santé dut se retirer à Segalas. Il animait un petit journal de gauche, c’est à dire à l’époque anticlérical, avait la plume alerte et caustique. C’était un ami de mon père qui allait à Segalas et m’y amenait contre mon grès. Son fils André, après avoir été brillant, (le plus jeune sous-préfet de France), se suicida, trompé par sa secrétaire qu’il avait épousé. La fille Jeanne, de mon âge, et dont la beauté, un peu hautaine m’impressionnait, mourut jeune, malade et dans le dénuement. Après la mort d’Elie, ils durent vendre Segalas.
La deuxième, Berthe ( environ 1865- 1920), avait épousé mon oncle Pierre, huit ans après son histoire avec Louise Pauvert (voir « Les Marche »). Ce fut un beau jour pour mon père, admirateur de Félix Pécaut, mais la mort de Pierre vers 1895 fut un coup dur. Avec Alice et Félix que vous avez connu, ils eurent Lucien, mort d’un accident de montagne vers 1923, peu après mon mariage. Les enfants de Félix : Elie, major de normale, qui se suicida, Lucien, Normalien aussi mais moins brillant, professeur de faculté, marié à un professeur de faculté. Claire, interne des hôpitaux. Anne, agrégée de russe, mariée à un russe.
Félix (II) (environ 1870 – 1947), professeur de philosophie, inspecteur général de l’enseignement pour finir directeur de l’école Normale de Saint-Cloud
C’est, je crois, l’esprit le plus ouvert, le causeur le plus agréable que j’ai fréquenté. Dépourvu de l’austérité de son père, il avait une philosophie sereine, un peu épicurienne. Etant à l’X, j’étais souvent invité chez lui, et avais avec lui de longues conversations. Il paraissait m’apprécier et d’une façon générale, aimait les scientifiques. Au collège Chaptal, il avait longtemps le cours de philosophie de math-elem, et plusieurs de ses anciens élèves étaient étudiants à l’X avec moi. Ils avaient gardé de lui un vif souvenir. Sans faire de politique, il connaissait beaucoup d’hommes politiques, notamment Painlevé qu’il avait connu par hasard, et avec qui il s’était lié.
Son fils Jacques alla à Centrale, Robert à l’X avec qui j’étais très lié. Tous deux moururent très jeunes, vers la quarantaine. La fille de Suzanne épousa un X.
Tous les descendants Pécaut sont d’une intelligence supérieure. Mais ils présentent des tares physiques. Elie mourut jeune et malade. Berthe mourut folle. A la génération suivante, André se suicida, Jeanne mourut malade et très jeune. Alice et Lucien étaient sourds, Félix III d’une taille minuscule. Jacques et Robert moururent jeunes.
Seul Félix II et sa fille Suzanne paraissent avoir été normaux.
D’où viendrait cette tare. Pas du robuste Pierre Pécaut ou de sa femme Beigbeder. D’Herminie et des Labourdette, vieille famille bourgeoise ?